Donc me voilà assise face à la mer de Chine devant ma machine à coudre avec pour compagnie Monsieur Canard, Bibi l’éléphant et l’arche de Noé toute entière imprimée sur des bouts de tissus à mes pieds…
Sur le bureau s’étalent des dizaines de patrons de vêtements pour ma fille chérie, et pour mon pauvre mari (tout aussi chéri) qui n’a pas encore compris que les seuls vêtements qu’il sera autorisé à acheter cette année sont ses chaussettes…
Et oui, roulement de tambour : c’est parti pour une année sans shopping, une année sans vêtements à petits prix, une année sans le plaisir de flâner dans les rayons de Zara Baby, une année à boycotter ces enseignes qui nourrissent notre besoin de surconsommation, bref une année à coudre moi-même mes vêtements et ceux de ma famille !
Pourtant ce n’est pas que je n’aime pas le shopping, loin de là… Mais depuis plusieurs mois, le shopping est devenu une épreuve. Ok, j’étais enceinte jusqu’il n’y a pas longtemps, donc ça n’aide pas pour acheter (vous avez déjà essayé d’enfiler une paire de botte en étant enceinte de 8 mois?) Mais l’élément déclencheur a été notre déménagement à Hong Kong il y a 2 ans.
« Quoi ?? » me direz-vous, « tu ne trouves rien de bien à acheter dans cette ville où – il faut bien le dire – on trouve absolument tout ?? ». Hong Kong capitale mondiale du shopping, avec ses magasins de luxe, ses pubs en 10m par 10, ses produits détaxés, probablement l’une des seules villes du monde, où les gens font la queue pour entrer chez Prada… Ben non, et justement c’est sûrement ça le problème. Paradoxalement vivre dans un temple de la consommation n’aide pas à consommer…
Au contraire devant un océan de consommateurs chacun avec une valise de 1m de haut dans une main, et autant de sacs que possible dans l’autre main, on commence sérieusement à se poser des questions. Déjà, la question de la provenance. Après, on regarde par la fenêtre et on comprend mieux la croûte épaisse de « brouillard » qui ne part pas depuis une semaine. En effet Hong Kong est situé à la sortie du Pearl River Delta, aussi appelé l’usine du monde où se trouvent par exemple les villes de Shenzhen ou Canton. En 2009, on y recensait 70000 usines, qui ferment progressivement au profit d’autres régions ou pays, moins développés ou moins chers.
C’est là qu’on se pose la seconde question, comment sont faits tous ces produits pour satisfaire une telle frénésie ? Et certains incidents, voire accidents comme l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, ou les grèves violemment réprimées des ouvriers du textile au Cambodge (réclamant un salaire de 170USD pour pouvoir vivre décemment de leur travail, contre 128USD actuellement – Source : Le Monde) nous fournissent une réponse sans appel : dans des conditions de merde. Et dès que les conditions d’un pays ou d’une région « s’améliorent », hop, on en change vite vite (Par exemple, la Chine sous-traite à présent en partie au Cambodge, l’Ethiopie attire de plus en plus d’investisseurs avec ses 50-60 euros de salaire mensuel – Source : Les Echos). Il y aurait des milliers de choses à dire sur les conditions dans lesquelles sont fabriquées nos fringues, il suffit de googler « ouvrier textile » pour trouver des tonnes d’articles relatant les conditions inacceptables de production.
Alors c’est quoi la solution ? Acheter du made in France, où fort heureusement les lois de notre pays protègent les employés ? Ce n’est tristement plus aussi évident… Sainte mondialisation qu’as-tu fait de ce si merveilleux pays à la culture textile qui était si présente ? Je ne sais pas si vous avez suivi l’aventure des Atelières, ou le pari culotté d’une nana qui voulait sauver la lingerie haute couture française (Après que tous les ateliers de confection aient fermé un par un pour s’installer en Tunisie ou en Chine. La différence de prix par contre, le consommateur ne l’a pas vue). J’en ai presque pleuré le 17 févier 2015 quand le tribunal de Lyon a prononcé sa liquidation.
Mais personne ne peut blâmer une personne qui gagne 1000 ou 2000 euros par mois de vouloir être à la mode et bien sapée… Ou de ne pas résister face à une paire de sandales à 10 euros…
Par contre, le plus on en parle, le plus on met le sujet sur le devant de la scène. L’entreprise impose des nouveaux besoins au consommateur mais se doit également d’évoluer pour mieux s’adapter à ses nouvelles exigences. C’est aussi la clef de leur réussite. Et la demande pour « manger bio », « boire du café équitable » ou « acheter des produits direct au producteur » est en plein boom : peu à peu les gens veulent autre chose. Et on est tous prêts à payer un peu plus pour ça. Pas beaucoup plus, juste un peu, ce qu’il faut.
On a pu voir une ligne « équitable » toute nouvelle chez H&M, ligne qu’ils ne se privent pas pour mettre en avant car leur marque entière en est valorisée. Le problème c’est qu’il s’agit d’un pourcentage infime de leur production totale, et que pour l’instant le focus est plus sur l’utilisation de coton biologique que sur les conditions des ouvriers textiles… C’est donc à nous tous de commencer à exiger des vêtements produits dans des bonnes conditions.
Sur ce, revenons à la phase concrète de mon boycott. En réalité, mon mari n’aura pas besoin que je lui couse ses chemises (ouf !). Mesurant 1m87 en Chine, il est de-facto en grève du produit de masse et fait faire ses chemises par des tailleurs locaux très doués (Hong Kong est très réputée pour ses tailleurs, malheureusement eux aussi perdent ce savoir).
Mais pour ma puce qui pousse comme un champignon, et pour moi qui adore les fringues (je peux passer des heures sur le dernier « Officiel 1000 modèles » à observer tous les détails…) ça va être nettement plus délicat… La bonne nouvelle c’est que je sais à peu près coudre, déjà, ça ouvre des perspectives intéressantes. La mauvaise nouvelle c’est que je sais à peu près coudre, et pour créer des veste de tailleurs, des chemises ou des robe de soirée, ça va être sacrément funky : quel challenge ! En effet j’ai toujours cousu pour le plaisir mais jamais pour mon métier qui n’a rien à voir avec la choucroute : mon métier à la base c’est ingénieur aéronautique, spécialité fatigue et tolérance aux dommages des matériaux… Quand je vous disais que ça n’avait rien à voir 😉
Notre aventure devait donc commencer en cette symbolique journée du 1er mai 2015, mais j’ai pris un peu de retard… Est-il possible de consommer différemment sans trop de galère, et tout en se faisant plaisir ?
Nous posterons des tutos (ciel il va falloir que j’apprenne à faire des patrons…), des infos, des bons plans, des liens et pour ceux/celles qui habitent comme nous à Hong Kong, des bonnes adresses pour se fournir en tissus et mercerie. Bon après, « et le tissu ? » me direz-vous… Il faut bien poser des limites… Impossible de faire rentrer une machine à tisser dans un appart de 60m2 ! Mais bon au moins nos fringues seront « sweatshop free » !
C’est parti pour une année à coudre, une année à créer, bref, une année passionnante à Hong Kong !
PS : Et surtout n’hésitez pas à m’envoyer vos impressions, vos remarques et vos bons plans dans les commentaires !